Crier ou ne pas crier : telle est la question
J’ai un peu fureté sur les forums : quelques petites astuces y sont données avec gentillesse et bienveillance. Ce qui y revient le plus souvent tient dans : « Ça dépend de chacun. ». Or, avant d’interroger un forum, vous avez immanquablement passé des jours, des semaines à tenter de remédier seul.e au « problème » ; vous ne vous attendiez pas à ça de votre part ; vous en avez pris plein les nerfs ; vous arrivez au bord de la rupture ; vous vous posez la trop fameuse question « Suis-je vraiment fait.e pour ce métier ? ». Vous cherchez une réponse, un kit de démarrage, un collector mais on vous sert un frustrant « Ça vient de toi ! ». En fait, le cri en classe est un sujet bien trop complexe pour que le format du chat’ lui convienne car trop exposé, court et morcelant.
La vérité est pourtant que tou.te.s les instit’ crient ! Le plus souvent, c’est pour de bonnes raisons d’ailleurs. Le problème est que personne ne vous a prévenu. La question « Elle est gentille ta maîtresse ? » (cliquer ici pour un second éclairage) est tellement ancrée en nous que nous ne faisons pas la différence entre la gentillesse et la bienveillance. Bref, tout.e.s les maître.sse.s crient alors qu’elles (ils) ne sont ni méchant.e.s ni incompétent.e.s, au contraire. Si, si, vous avez bien compris, le cri, utilisé à bon escient, est utile voire nécessaire. On arrête alors de culpabiliser pour éviter de prendre sur ses nerfs.
"Crier c’est bien ?!?! " Je n’ai pas dit ça, mais je n’ai pas dit le contraire. Je dis que c’est fonction de la situation. « Alors là, ma p’tite dame, ça revient à dire : Ça dépend de chacun. ». Absolument pas, les amis. A chaque situation, il faut répondre par des réactions à la fois claires, rassurantes et pertinentes : le cri est une des solutions. S’intéresser aux « cris de la maîtresse » c’est faire face à toute la complexité des réactions humaines, rien que ça !
Posons-nous la question de ce qui nous heurte dans le cri. Il est douleur, manque de maîtrise, danger, impudeur mais aussi autoritarisme, injustice, condamnation ou encore révolte, lutte, le corps qui s’exprime sans contrôle pour se libérer : un arsenal de concepts plus négatifs les uns que les autres. La mise en présence de la « bienveillance enseignante » et de cet escadron semble être la caricature plaçant Gandhi face à la bombe atomique. « Alors crier, c’est mal ! » Je n’ai pas dit ça, mais je n’ai pas dit le contraire. (J’me répète ? C’est une déformation professionnelle.) D’abord parce que le bien et le mal n’est pas le propos, ensuite parce que « La vérité est ailleurs » (Fans des X-files, je vous salue), elle est dans la corvée de ménage : balayage, décharge et purification.
Nous avons tou.te.s des raisons de crier.
Attaquons par une petite introspection : votre hôte a crié (beaucoup), crie (largement moins) et continuera de crier pour de bonnes raisons. On va commencer par larguer ses propres préjugés, afin de prendre de la hauteur et mesurer l’étendue de la tâche qui nous incombe.
Non, je n’ai pas fait d’études de psycho ou de philo mais j’ai 20 ans d’interrogation systématiquement de mes propres pratiques et réactions derrière moi. L’observation de mes collègues et des cohortes successives d’élèves ont aussi construit ma conviction. Au début, comme presque tout le monde, j’ai mal compris ; tombant dans l’ornière stérile du jugement de valeur. Ne faites pas cette erreur pour avancer plus vite.
Les débutants – mais aussi certains enseignants chevronnés – pensent que crier dans sa classe montre un absence de maîtrise et/ou l’exercice d’un certain despotisme. Il existe pourtant 3 types de situations où cela s’avère nécessaire. En effet, vous êtes obligé.e de faire avec toutes les individualités en présence (VOUS + 25 autres, par définition, immatures) et vous essayez d’être parfait.e. A la base, le postulat est un peu rude ! Donc vous tentez de faire avaler le programme à des enfants qui n’ont pas la moindre idée de la raison pour laquelle VOUS vous acharnez à faire un truc pareil… Quelle légitimité avez-VOUS ? Pourquoi VOUS écouteraient-ils ? Pourquoi exercez-VOUS cette contrainte sur eux ? Êtes-vous complètement sado ou carrément maso ? !
Trêve de questions, lançons-nous dans la corvée de ménage et rangeons nos cris :
1 – Balayage du danger imminent 2 – Décharge émotionnelle 3 – Purification de l’atmosphère
Le balayage du danger imminent
Celui-là ne pause aucun problème si vous êtes socialement correctement construit.e. Vous voyez que des enfants vont se battre.Vous hurlez ! Normal ! Vous voyez qu’un élève va se jeter par la fenêtre : vous ameutez la Terre entière. Normal ! Vous voyez qu’un enfant s’approche de votre pantalon blanc avec ses mains pleines de peinture. Vous criez. Normal ! (Cela dit, on aurait pu le prévoir celui-là, quand « on fait peinture » avec des PS, on ne met pas un pantalon blanc...) Bref, vous criez. Normal ! Mais contre qui, en fait ? Et oui, vous bougonnez contre vous-même. « La prochaine fois, je porterai une blouse et puis c’est tout ! ». Ce qui nous amène en direct-live, à
La décharge émotionnelle
Séance de peinture cycle I ou II (méfiez-vous quand même des cycles III) ; un pot de peinture est répandu. Vous criez ! Mécontent.e. Tous les élèves se précipitent pour voir, en poussent d’autres qui mettent les pieds dedans, voire s’amusent à admirer l’empreinte de leurs chaussures et à éclabousser les autres. Vous hurlez !
Mais pourquoi en est on arrivé là ? Vous avez crié parce que vous pensiez avoir tout prévu (le pantalon et tout !) et vous vous apercevez que décidément vous avez été trop angélique. C’est ultra-frustrant, alors vous criez ! Ils pourraient faire attention ces fâcheux, non ?! Décidément, les enfants font des trucs improbables ! Alors là, effectivement il faut le savoir : ils vous feront toujours des trucs improbablissimes. Aucune fiche de pèp’ ne pourrait suffire pour prévenir le bazar qu’ils peuvent créer par maladresse. L’erreur ici était de pousser le premier cri – vous l’aurez compris.
Mais comment arrive-t-on à ne pas le sortir, celui-là ? Comment arriver à prendre sur soi?
En partant du principe qu’il y aura
des maladresses, des erreurs, des inattentions
et des directions prises par les enfants que vous n’aurez pas envisagées.
Le fusible du mécontentement saute à cause du court-circuit de votre propre jugement de culpabilité qui entraîne une sur-tension pour les 25 autres éléments branchés à votre compteur. En somme, si vous vous jugez mal, ils vous jugeront mal car vous êtes le « miroir magique » de la classe : en vous regardant, ils se voient et imitent tout en symétrie. Si vous ne vous sentez pas légitime, aucune chance qu'ils vous voient comme tel. C'est là que la formidable zizanie commence, et c'est vous qui l'avez créée. Vous culpabilisez ? Inutile, ce serait pire ! Dédramatisation et déculpabilisation immédiate.
Mais comment se sentir légitime quand on débute ? Il faut faire de l'auto-suggestion et assumer le costume du maître – au sens fort – même si pour le moment il semble trop grand pour vous. Un mensonge ? Non, vous avez tant de choses à leur apporter : toute votre humanité, tout votre savoir, tout votre amour (cf plus bas). Maintenant il va falloir user de tout cela de manière éclairée.
Et si ce n’est pas un pot de peinture, mais une erreur qui revient pour la dixième fois ? La frustration laisse la part belle à l’impression qu’on se moque de vous. C’est faux, l’élève ne se moque pas de vous, il ne comprend toujours pas et c’est alors la frustration qui reprend le dessus. Or, les erreurs seront légions dans votre carrière, de votre part (l'instit' parfait.e n'existe pas !) et de la part de vos élèves (eux par contre sont parfaits pour faire ce pourquoi nous sommes là). C'est la base de notre travail en vérité. D'aucun vous diront que le fondement de notre profession est l'apprentissage et ils auront raison. Mais qu'est-ce que l'apprentissage sans erreurs ? Il faut en prendre conscience immédiatement, les amis. «Donc, je ne crie pas ? » Alors là, la réponse révélera toute la complexité du truc !
Si un enfant ne comprend pas (fait une erreur ou une maladresse) nous ressentons une frustration due à la manifestation de notre limite à leur apprendre. Celle-ci a la fâcheuse manie de sortir pour s'évacuer en jaillissant, en général, sous forme de cri. D'ailleurs, si vous ne la purgez pas, c'est la déprime assurée en moins d'un an ou pire, le rejet de la « faute originelle » sur les « enfants qui ne comprennent décidément rien ». (Écoutez les conversations de salle des maîtres : c’est l’espace de purge par excellence. Vous croyez que les maître.sse.s y sont méchant.e.s ? Non, justement : c’est nos toilettes morales.) Malheureusement, ce cri n'est qu'une soupape puisque lui-même serait l'aveu d'une incompétence présupposée (référence faite à l’armada citée plus haut). Que nenni ! Nous sommes les plus compétents, puisque nous avons choisi de faire ce métier.
Au-delà de cet argument qui pourrait vous paraître peu convainquant, essayez d'imaginer une classe tenue par un robot. Absolument parfait quant à ses réactions, indiscutablement, il ne se mettrait pas à crier pour une bourde, mais ce qui serait vrai de la frustration, le serait de toutes les autres émotions. Une classe sans émotion est un non-sens global.
Les enfants sont des concentrés d'émotions et de sensations.
Depuis qu’ils sont nés, elles sont leurs appuis
pour appréhender le monde, pour continuer leur vie.
Dans une classe, l'interaction émotionnelle est la principale difficulté à surmonter, mais aussi le meilleur levier d'apprentissage. Placez un robot en face de vos 25 loulous et nous aurons des enfants qui ne comprendront absolument rien au monde qui les entoure : le savoir se diffuse par l'interaction et non par le simple discours descendant d'un quelconque dieu omniscient. Il n’y aura pas de lumière dans votre classe si le circuit est coupé.
Le savoir issu de leur androïde de prof sera conçu comme incontestable, mais quelle envie d'interagir avec lui en ressortirait selon vous ? De multiples et grosses blagues puisque toutes les émotions seront reconnues comme fausses. Les enfants s'appuient sur leur intelligence première des sensations et émotions.
Vous avez des émotions qui sortent, GÉNIAL !
Vos capacités émotionnelles vous serviront, si vous les utilisez à bon escient.
Tentez de vous rappeler pourquoi vous écoutiez vos parents étant enfant : vous leur faisiez confiance, vous saviez qu’ils vous aimaient, vous vouliez être aimé d’eux, vous vouliez qu’ils aient confiance en vous. Un instit qui dit « Je ne suis pas là pour aimer les élèves ! » a, semble-t-il, raison, mais il a foncièrement tort. Certes, sa fonction ne le lui impose pas puisqu’il est sensé faire de l’apprentissage l’apanage de sa vocation. Cependant, n’y mettant pas d’émotions, son œuvre est vouée à l’échec si l’on suit le penseur de la complexité Edgar Morin interprétant Platon ("Platon dit : « Pour enseigner, il faut de l'éros. » L'éros est un mot grec qui signifie le plaisir, l'amour, la passion. Pour communiquer, il ne sert à rien de débiter du savoir en tranches, mais il faut aimer ce que l'on fait et aimer les gens qui sont en face de nous.")
En conséquence, étant humain, si nous devons laisser notre « amour » se répandre,
le fait même de se « fâcher » n’est-il pas une des preuves de celui-ci ?
Tous les parents parmi vous ressentent profondément et limpidement cette pensée : lorsque nous nous « fâchons » contre notre enfant, est-ce pour exercer notre despotisme ou est-ce pour l’élever – au sens premier du terme : l’amener au-dessus de lui, de nous ?
Non, vous n’êtes pas leurs parents, mais refuser de se fâcher dans les situations qui le nécessitent est une incohérence pour deux raisons. La première vient d’être explicitée. La deuxième, plus prosaïque peut-être, tient de la délégation d’autorité que vous font les parents de vos élèves.
Je me vois encore fulminer contre la maîtresse de mon fils qui m’écrivait un mot m’informant de ses écarts de conduite. Si elle m'écrivait, c'est qu'elle avait dû se fâcher tout rouge. Vu mon métier et ma façon de penser, vous imaginez bien que mon loulou n’est pas des plus turbulents à la maison. Le mécontentement et l’embarras que je lui ai exprimé alors ont été une vraie douleur pour lui et les pleurs ont jailli (les câlins de réconfort aussi, mais sans tergiverser). Il avait l’impression de nous avoir déçu, d’avoir trahi notre confiance. Il était bien évident que je ne lui ai rien dit de ma contrariété envers la maîtresse, mais, dans ma caboche et mon cœur de maman, je me disais que je ne pouvais pas être en classe à la place de la maîtresse : la gestion des incartades disciplinaires de mon petit démon était un problème qu’elle devait régler elle-même.
Morale de l’histoire : nous n’avions tort ni l’une, ni l’autre. Ma subjectivité de maman a bêtement rejeté la « faute » sur la maîtresse à qui j’avais délégué mon autorité, pour tenter une vaine déculpabilisation (une maman se sent toujours coupable, vous l’apprendrez). Cependant, l’instit’ se devait de nous informer que les règles n’étaient plus suivies : la délégation d'autorité n'était pas claire pour le loulou. Notre rôle de parents fut alors de réexpliquer à notre fils ce que nous attendions de lui. Mais attention, moi, je suis maîtresse : j’ai pu, finalement, me mettre à sa place.
La maîtresse avait le droit et le devoir de se fâcher à notre place.
Les maître.sse.s ne sont pas que des parents de substitution et les parents ne sont absolument pas des maître.sse.s, cependant tous doivent travailler ensemble pour le bien de nos chers petits.
Et là vous vous dites : « Bon sang, mais c'est bien sûr, cette idée n’est pas claire pour les parents et c'est pour ça que je galère comme un.e damné.e ! Je vais écrire des mots.» Alors là, nous entrons dans le politiquement incorrect du siècle. Pas de langue de bois, j'ai dis ? Allons-y gaiement ! Vous devez rencontrer les parents pour savoir à qui vous avez affaire. Soit vous pouvez vous appuyez sur eux, soit non. Fin du discours. Si vous êtes seul.e, il faut en prendre votre parti. Les parents font ce qu'ils peuvent et pour la plupart ils s'en sortent super bien. Mais que savent-ils des comportements de leur enfant dans le microcosme d’une classe, dans la jungle d'une cour, dans les chuchotements des couloirs ? En général, ils ne connaissent rien des interactions sociales de leurs enfants. Ils peuvent tenter d'en faire une analyse, mais gérer un groupe n'est pas leur fonction, c'est la nôtre. On voit souvent des parents se faire de belles grosses illusions sur leur chérubin. Certains sont tellement persuadés que leur enfant est un ange, qu'ils fulminent contre vous à la vue d'un mot dans le cahier (😋)
Le « mot dans le cahier » est à utiliser judicieusement en fonction des parents et des situations.
Je déconseille son usage pour gérer la « décharge émotionnelle ».
Cela nous amène à ce point absolument essentiel du respect des règles et de la personne de l’enseignant.
Purification de l'atmosphère
Là, pour plus d’éclaircissements sur les fondements de ma réflexion, je vous encourage – si ce n’est déjà fait – à lire l’article « Souriez, vous êtes épiés... ».
Cela fait, j’ai quelques précisions à apporter au sujet des cris. Votre tenue de classe prendra ses racines sur le respect que vous avez de vos élèves et sur le fait de les rassurer en tout lieu et tout moment. L'injonction au respect est un impératif majeur. Un enfant dérogeant à cela doit être immédiatement repris. La force de la voix sera alors fonction du nombre d’écarts précédents et de la gravité de la bêtise. Les deux évidemment pouvant se cumuler. Vous ne pouvez pas faire l'économie de ces reproches-là au risque de montrer que la règle ne vous importe pas. Vous en êtes garant.e. Si vous ne jouez pas ce rôle, il en sera fini du sentiment de sécurité et de l’exigence dans votre classe.
Vous devez prendre un ton cinglant ou impérieux.
Vous êtes droit.e dans vos bottes à ce moment-là. Redressez-vous de toute votre hauteur et prenez-vous pour l’allégorie vivante de la justice elle-même. Plus vous serez convaincu.e, plus vous serez convainquant.e. Inutile par contre d’y passer des heures sinon on entrerait dans le contre-productif. Une phrase suffit en générale pour les petites incartades. Un laïus plus emphatique et intransigeant sera choisi pour les plus grosses.
Vous êtes obligé.e d’interrompre le travail ici et de forcer du gosier (crescendo selon les principes de fréquence et de gravité) car plusieurs élèves auront été témoins de l’événement : vous rassurer les uns en réprimandant l’autre. Et là, vous vous dites : « Misère, il va falloir, avec les miens, que je m’arrête toutes les 3 minutes ! » Si c’est le cas, pas de panique, c’est juste votre attitude qui n’est pas lisible. « Et nous voilà revenus au démarrage ! Tu nous culpabilises là ! Franchement c’est pas cohérent ! Tu nous ressers le Saviendetoi tout pourri du début ! ». Pas le moins du monde, suivez le guide.
Prérequis : conscience de son image
La lisibilité de votre attitude est un impératif. La lecture du langage corporel fait partie des compétences les plus développées chez vos élèves car elle est leur moyen de survie depuis leur naissance. A l’heure où l’image est reine en notre monde vous avez de multiples modèles qui peuvent vous inspirez à votre convenance, dans un sens (ceux qui ont de l’autorité selon vous) comme dans l’autre (en creux, ceux qui en sont dépourvus, toujours selon vous). Là, effectivement, « ça dépend de chacun » puisque vous devez croire en votre image pour la rendre convaincante.
Cependant, le choix, en la circonstance, d’un idéal de personne hyper-cool et hyper-égocentrée est dénué de sens. Vous êtes le capitaine d’un navire et vous devez incarner l’autorité sous toutes ses formes : assurance que le bateau a pris la bonne direction, assurance que vous savez lire les cartes et les étoiles, assurance que vous gérerez, à tout moment, n’importe quelles mutineries, pénuries et intempéries. Qui, selon vous, est l’incarnation de ce chef ? Pour moi, clairement c’est l’allégorie mêlée de ma mère et de mon père. Je dis ici « allégorie » pour faire ressortir la portée symbolique de l’image ancrée dans ma mémoire, ce n’est pas du tout l’ensemble de leur personnalité qui l’étaye (les pauvres, ce serait bien trop réducteur). Qui sait si vous ne prendrez pas la Reine d’Angleterre, votre prof de judo ou Captain America comme modèles. Ils doivent évidemment être bienveillants et positifs si vous voulez réussir votre mission. Vous êtes en représentation les amis et « the show must go on » (Ah Freddy, mon cher ami !)
La clé principale est là : les cris sont symboliques tout autant que les sourires et les mains sur l’épaule. Ainsi, j’ai lu sur un forum qu’une jeune maîtresse de maternelle avait essayé le fameux truc : se tenir sur un côté de la classe, bras croisés en regardant de manière mécontente l’ensemble des élèves. Elle a attendu 8 minutes ! Je suis d’accord avec elle, 8 minutes est une éternité dans le Bronx. Ce truc marche pourtant, mais pour une classe qui a confiance dans les émotions de l’adulte.
Outillage de base
Dans le cas où les élèves ne vous voient plus et où la loi de la jungle s’installe, un ultimatum est nécessaire. Il faut cesser l’activité en cours, imposer le silence et l’ordre coûte que coûte. Vous ne devez pas tergiverser et suivre votre propre commandement :
« Vous avez 30 secondes pour vous asseoir et vous taire ! »
Le temps donné est à adapter, mais vous égrainez les secondes une à une, à haute-voix sans rien dire d’autre. Votre regard et votre posture feront le reste. « Mais, maîtresse... », « C’est lui... ». Vous décomptez : 25-24-23 ! Sourcils froncés, geste impérieux de la main désignant la place de ceux qui bougent encore. 22-21-20. « C’est pas juste ! », « C’est toujours moi ! »19-18-17. Immobile, regard noir, geste vers la chaise des résistants. « Pousse-toi, c’est ma place ! », « Il m’a poussé ! » 15-14-13-12 « Chut ! », « La maîtresse attend ! » Toujours en décompte sans autre parole : 11-10-9-8. Tenez-bon, c’est bientôt fini « Pfff », « J’ai rien fait moi ! », « Chuuuttteu ! » 7-6-5-4 « Assied-toi, elle a dit ! » Forcez du gosier pour la fin : 3-2-1-0.
Ils prennent cela comme un défi et, soyez en certain.e, ils ont envie de le réussir surtout si vous ne transigez pas. Une fois ce temps passé, il faut expliquer, vous-même, les raisons de l’arrêt de l’activité. Vous devez exprimer les raisons de votre colère ou de votre désarroi.
La « colère-blanche »
Presque chuchotante, elle est un autre moyen efficace de mobiliser leur empathie. « Pourquoi la maîtresse réagit-elle comme cela ? Pourquoi est-elle en colère ? Pourquoi est-elle déçue ? » Ne faites aucun reproche ciblé à ce moment-là sinon les « superturbateurs » se jetteraient sur l’opportunité offerte de reprendre le rôle du roi de la jungle. Ils ont TOUS envie d’être aimé, d’inspirer de la fierté, de susciter de la sympathie, mêmes ceux qui sont en colère.
D’ailleurs, ces « superturbateurs » en colère, le sont, en général, parce qu’ils manquent de reconnaissance. La réponse aux reproches est devenue une seconde nature chez eux et la moindre occasion est bonne pour attirer l’attention par les remontrances ; c'est leur zone de confort. Essayez de ne pas vous faire happer par ce cercle vicieux. C’est dur. Très dur. Mais à force d’essayer vous y parviendrez le plus souvent.
Les astuces à mettre en place en amont
Elles peuvent/doivent se cumuler :
- le décompte de préparation. « Dans 5 minutes, vous fermerez vos cahiers... Vous rangerez les Kapla... Vous viendrez vous asseoir. » On décompte systématiquement les minutes une à une et « au dernier coup de minuit, Cendrillon devra être rentrée ». Pas de cri pendant cette période. Si vous intimez à vos élèves de vous obéir au doigt et à l’œil toujours, en toute circonstance, à la seconde précise où vous donnez votre consigne, vous vous épuiserez à faire rentrer un bon gros oreiller dans une boîte à chaussure : vous crierez, fort et longtemps.
- L’inscription au tableau du déroulement de la journée dans ses grands enchaînements : les élèves savent quelle activité succédera à la présente et en seront rassurés (il faudra sans doute répéter ou montrer gentiment le tableau du doigt). Cela vous évitera de gérez leur angoisse du temps. Certes, ils doivent vous faire confiance, mais c’est à vous de leur montrer que vous en êtes digne. Nous pourrions disserter sur le fait que les générations précédentes avaient cette évidence bien en tête et qu’il était inutile de le leur prouver. Nous ne vivons plus dans ce monde s’il a jamais existé du reste. La mise en doute des capacités et compétences des profs (et de tous les représentants de l’autorité d’ailleurs) dans notre société est un réflexe que les enfants intègrent à la vitesse de l’éclair. Il faut faire avec et asseoir solidement votre autorité en matière de savoirs didactiques et pédagogiques. Votre réputation fera le reste à l’avenir.
- Le catalogue de phrases magiques qui, tout en laissant le temps de les dire, sont reconnues immédiatement pour une action précise et rituelle du type « Roulement de tambour, bras en l’air, bouches fermées, fesses sur les chaises ! Un, deux, trois ! » ou « Tout le monde est prêt ? A vos pages ! Prêts ! Lisez ! » … A vous d’en inventez d’autres et de les partager.
- La ritualisation des activités : en plus d’un apport certain sur les apprentissages (il vaut mieux répartir les exercices de grammaire sur 4 jours en 4 fois 1/4 d’heure plutôt que d’en faire pendant 1 heure durant), la concentration sera bien plus présente et la multiplication des modalités de travail remobilisera les esprits à chaque changement.
- Expliquer sempiternellement pourquoi on fait tel travail ou qu’on suit telle règle : c’est la fameuse déformation professionnelle du radotage. Si les enfants intégraient immédiatement ce qu’on leur dit, vous ne seriez pas enseignant.e, mais informaticien.ne. Plus les savoirs, procédures ou règlements sont explicités, plus aisée sera leur compréhension, meilleur sera leur usage ou intégration.
- La préparation minutieuse : vous ne serez pas pris.e au sérieux si vous vous noyez dans un verre d’eau alors un emploi-du-temps clairement établi sur la journée, voire sur la semaine est des plus utiles. Réfléchir en amont et au calme à ce que vous allez leur faire faire est crucial. Dans la même idée, les programmations ne sont pas un gadget pour inspecteur, mais bien un outil de travail. Vous devez pouvoir jouer les chefs d’orchestre. Et là vous vous dites, « Mais les imprévus de leur réponses, de leurs erreurs, de leurs incartades, de leurs maladresses… ? » Au début de votre carrière, notez-les et cherchez les solutions ultérieurement. Appuyez-vous sur votre partition. Après, vous aurez un tel arsenal d’observations que vous saurez réagir immédiatement la plupart du temps. Vous nous jouerez du Mozart en virtuose. L’improvisation peut être une source de joie, mais on ne peut pas être toujours bon dans ce registre, donc on se prépare. Afin d’éviter la perte de contrôle, on se projette. Vos gestes, réactions, décisions, paroles deviendront instinctives par la suite.
- L’économie de parole au maximum : vous êtes obligés de parler beaucoup et fort puisque vous êtes devant un groupe. Quand je dis fort, je dis plus fort que quand vous êtes à un dîner romantique, mais moins fort que dans un bar un soir de Saint-Patrick. Ce bruit de l’instit’ est une source de fatigue et une amorce pour l’amplification des bavardages des élèves. Dès que cela est possible, taisez-vous ! Vous le savez, c’est un bon gros défi ! Si vous vous adressez à un petit groupe, baissez le ton jusqu’au chuchotement si possible. Rappelez-vous toujours que vos yeux et votre corps parlent aussi alors servez-vous en à volonté. Vous voulez vous faire entendre, ne générez que les sons nécessaires. Ne croyez jamais que plus vous couvrez leur vacarme plus ils vous entendront, cela ne fera que l’augmenter.
- Les pitreries : blagues, douzième degré, plaisanteries, rires à gorge déployée, sourires entendus, gentilles moqueries font parties des relations sociales détendues. Inutile de vous dire que vous ne devez pas stigmatiser d’élèves, mais leur apprendre aussi à avoir de l’auto-dérision en mesure gardant. Ayez de l’humour sur vous-même aussi, parlez de vous à la 3ème personne par exemple. Même des CM2 seront surpris et vous écouteront. Et direct derrière ça, on reprend sa stature de Daeneryis Targaryen triomphante ou de John Snow conquérant.
- Les félicitations : une armoire pleine de mots d’encouragement vous servira toujours. Nous faisons des feed-back négatifs en permanence comme une maman qui corrige son jeune enfant apprenant à parler. C’est notre devoir de relever les erreurs et de les corriger. Souvent les enfants prennent cela pour un reproche de leur manque de compétences ou connaissances. Par conséquent, oublier de féliciter les réussites, si petites ou partielles soient-elles renforce cette impression. Si nous ne nous arrêtons que sur les erreurs, nous noircissons le tableau alors même que nous avions l’intention de peindre une journée d’été emplie de lumière.
Concluons
Je ne saurais faire de liste exhaustive, mais vous avez ici un kit de survie. La patience est un qualité qui s’apprend à la dure dans notre métier. L’état d’esprit dans lequel vous entrez en classe est déterminant. Mais ne soyez jamais trop dur.e avec vous-même car le jugement de vos propres erreurs causera forcément une tension que vous aurez encore plus de mal à rattraper. Crier n’est pas aussi grave que vous le pensez. Telle le capitaine du navire on part du principe qu’il faut rassurer son équipage afin qu’il nous suive au bout du monde pour les nombreuses conquêtes qu’il doit faire.